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Le projet de loi Travail a été adopté en cette fin du mois de mars par le conseil des ministres.

L’exposé des motifs qui a peu de chance de varier au cours de la discussion parlementaire précise qu’il s’agit de « donner au dialogue social une place beaucoup plus importante  dans la définition des règles sociales » pour passer «  d’une culture  de l’affrontement à une culture  du compromis et de la négociation ». Chiche !

Malheureusement, comme souvent, le diable se cache dans le détail.

Dans ce texte de 52 articles, le débat politique et économique porte sur la négociation en entreprise et les nouvelles souplesses données aux employeurs en matière de temps de travail. Cependant une disposition, le sixième principe énoncé par l’article premier, attire l’attention de ceux qui veillent au respect de la laïcité dans notre arsenal législatif.

À cet endroit il est inscrit: « la liberté du salarié de manifester ses convictions, y compris religieuses, ne peut connaître de restrictions que si elles sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché. » 

Cette disposition présente le risque majeur de stimuler d’éventuelles manifestations religieuses sur le lieu de travail et, ce faisant, d’engendrer prosélytisme et communautarisme, ce qui irait à contre-courant de l’exposé des motifs.

Or les pratiques religieuses ne devraient pas avoir de place dans les entreprises le principe de neutralité devant prévaloir. Ce n’est pas le cas aujourd’hui à la seule exception notable des entreprises de conviction.

Dans un pays où 84% des salariés souhaitent que l’entreprise soit un lieu neutre, et où la plupart croient que c’est effectivement le cas, la réalité légale et judiciaire énonce jusqu’à présent le contraire: la liberté de religion y est la règle. Et la disposition  de l’article 1 du projet de loi El Khomri voudrait garder le statu quo : cet article est dangereusement conservateur.

Il s’appuie certes sur les conclusions du comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail présidé par Robert Badinter et Antoine Lyon-Caen. Il est aussi conforme à l’article 9 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH), qui garantit une certaine liberté de manifester sa religion et ses convictions dans l’entreprise. Ce principe est actuellement la norme à laquelle quelques jugements ont apporté des restrictions néanmoins très limitées: l’affaire de la crèche Baby-Loup a rappelé à quel point le cadre légal et juridique du principe de neutralité en entreprise doit évoluer. Et ÉGALE a été parmi les premières associations qui ont alerté l’opinion à ce sujet.

À ce moment-là, un certain laxisme s’était déjà manifesté, par exemple, lorsque furent écartées les propositions de loi des parlementaires de Françoise Laborde et Roger-Gérard Schwartzenberg visant à étendre l’obligation de neutralité et à assurer le respect du principe de laïcité dans les structures accueillant des mineurs.

Et l’Observatoire de la laïcité, créé à la suite de cette affaire Baby loup, avait déclaré que les atteintes à la laïcité avaient été surestimées comme il établira quelques mois plus tard le même constat pour l’Université se contentant globalement de proposer l’édition de plusieurs guides à destination des employeurs publics et privés.

Aussi comme l’a récemment demandé l’écrivaine Malika Sorel la partie de l’article 1 visée doit être retirée du projet de loi et remplacée par une disposition donnant la possibilité aux chefs d’entreprises de se doter d’un règlement intérieur qui leur permette de se protéger face à des dérives religieuses.

Il serait même souhaitable d’affirmer le principe de neutralité en entreprise dans le cadre de l’examen à l’Assemblée nationale et au Sénat  au cours du mois d’avril : le gouvernement ferait ainsi preuve de réalisme et de novation dans un contexte qui devrait l’alerter sur  les dangers à ne pas conforter le caractère laïque de la République,  principe fondamental de sauvegarde du vivre ensemble sur le lieu de travail notamment.

Bernard FERRAND, Vice-Président d’ÉGALE