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Nous avons presque tous été témoins, directs ou indirects, de situations de fin de vie accompagnées de conditions trop souvent insupportables, voire de souffrances qui n’ont pas été suffisamment soulagées, malgré les moyens dont dispose le corps médical. Nous avons tous ressenti ce jour-là des sentiments d’impuissance, de colère et d’incompréhension devant les limites des médecins, lesquels, dans le meilleur des cas, ne pouvaient proposer que ce qu’autorise la loi actuelle, soit une sédation profonde et continue et l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation, jusqu’à ce que la mort survienne.

Nous sommes nombreux à avoir rencontré et peut-être accompagné des personnes qui ont fait le douloureux choix d’aller finir leur vie comme elles le souhaitaient, en Belgique ou en Suisse.

Nous savons tous les difficultés psychologiques et physiques que cette décision d’exil a entraînées pour ces personnes et pour leur famille. Il n’est pas inutile de rappeler ici que beaucoup de Français ont été déçus par François Hollande, qui n’a pas respecté son engagement présidentiel, pris dans le cadre de la proposition 21, de faire voter une loi pour que «toute personne majeure en phase avancée ou terminale d’une maladie incurable, provoquant une souffrance physique ou psychique insupportable, et qui ne peut être apaisée, puisse demander, dans des conditions précises et strictes, à bénéficier d’une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité». Comment la République peut-elle à ce point bafouer ses valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité ?

Nous voulons croire que notre actuel président de la République et les législateurs feront preuve de volonté et de courage, et profiteront de la révision des lois de bioéthique pour voter une loi qui répondra à la demande d’une majorité importante de Français.

Deux pétitions citoyennes, apolitiques et sans l’aide d’associations, mises en ligne, l’une par Nathalie Gueirard Debernardi en 2014 et la seconde, par Marie Godard, le 2 août 2017, ont recueilli à ce jour 260 000 signatures, ce qui a décidé le Conseil économique social et environnemental à se saisir du dossier de la fin de vie, un autre signe de l’importance qu’a pris ce sujet dans l’esprit des Français.

Nous croyons que l’intention exprimée par la ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, de continuer d’améliorer l’accessibilité aux soins palliatifs partout en France, est toujours louable et doit être encouragée.

Nous estimons cependant que les soins palliatifs et l’accès à la sédation profonde et continue, encore très peu connus des soignants et des patients au dernier stade de la maladie, ne prennent pas totalement en compte de nombreux cas de personnes atteintes de maladies graves et terminales qui ne peuvent plus être entièrement soulagées de cette manière ou qui ne veulent pas prolonger leurs souffrances physiques ou psychiques au-delà d’une certaine limite et, notamment, les personnes atteintes de maladies neurodégénératives. L’un des éléments clés de la loi actuelle est le respect de la volonté de la personne lorsque celle-ci est en mesure de l’exprimer, ou grâce à ses directives anticipées, si ce n’est plus le cas.

Nous pensons que cette mesure phare de la loi Claeys-Leonetti doit progresser pour permettre à chacun de choisir le moment et la manière de sa mort. La sédation profonde et continue est une avancée qui, aujourd’hui, n’est pas totalement satisfaisante. Il faut avec des critères stricts autoriser le suicide assisté et l’euthanasie, avec l’assistance de membres du corps médical et sous réserve que ceux-ci acceptent de pratiquer cet acte… De nombreux témoignages de malades démontrent que le fait d’avoir la liberté de demander et d’obtenir cette aide si leurs souffrances deviennent insupportables les apaisent et, sans forcément qu’ils choisissent d’y recourir, rend ainsi plus sereine la traversée de la fin de vie.

Nous demandons au président de la République et aux parlementaires de prendre en compte ce qui précède et de mettre tout en œuvre pour que soit maintenant votée une loi qui permette à chaque Français de choisir le moment et la manière de sa mort, lorsqu’il juge que la maladie ou un accident lui a totalement retiré toute qualité de vie.

Parmi les signataires :

Olivier Adam (écrivain), Isabelle Alexis (scénariste, écrivain et actrice), Gilles Antonowicz (Avocat et historien), Pierrette Aufiere (avocate), Hugues Aufray (auteur, compositeur, interprète), Annie Babu (infirmière), Philippe Bataille (sociologue), Anne Barth (réalisatrice), Etienne-Emile Baulieu (médecin), Guy Bedos (humoriste), Florence Ben Sadoun (journaliste), Jacqueline Bergel-Hatchuel (avocate), Louis Bériot (journaliste, écrivain scénariste et producteur), Jacques Birgé (médecin), Francis Carrier (président de Grey Pride), Martine Cerf (secrétaire générale de l’association Egale), Benoit Chalmin (cancérologue et radiothérapeute), Olivier Chambon (psychothérapeute), Jacques Chareyre (avocat), Noëlle Châtelet (universitaire et écrivaine), Marie-Christine Clément (pédopsychiatre), François de Closets (journaliste et écrivain), Sonia Cohen-Lang (avocate), André Comte-Sponville (philosophe), Simone Cordoliani (peintre), Maryvonne David-Jougneau (docteure en sociologie), Geneviève Delaisi de Parseval (psychanalyste), Mylène Demongeot (actrice), Danièle Enoch-Maillard (avocate), Olivier Falorni (député), Hélène Faure Aufray (danseuse), Olivier Fillieule (écrivaine), Maria Franchini (écrivaine, traductrice), François Galichet (docteur en philosophie), Danièle Ganancia (magistrate à la retraite), Thélème Gédéon (retraité), Martine Gercault (psychanalyste), Michel Germain (professeur émérite des universités), Claude Georges Grimonprez (comédien), Anne Giuntini (grand reporter), Marie Godard (écrivaine), Martine Gross (ingénieure), Nathalie Gueirard Debernardi (à l’initiative de la pétition «Pour une loi sur le suicide assisté en France»), Karin Huet (écrivaine), Nancy Huston (écrivaine), Sam Karmann (acteur, réalisateur), Eliane Katz (médecin), Catherine Kersual (avocate), Patrick Kessel (journaliste, essayiste), Pascal Landa, Jacqueline Laurent (généticienne), Bernard Lebeau (pneumologue et cancérologue), Marie-Jo Lécuyer (Zazo de la Télindière) (aide-soignante en Ehpad), Dominique Lefeuvre (écrivain), Françoise Levaillant (directrice de recherche honoraire au CNRS), Caroline Loeb (artiste), Philippe Maddaleno (médecin), Noël Mamère (homme politique), Véronique Massonneau (ex-députée), Bruno Masure (journaliste), Jean-Claude Mauléon (peintre),  Ariane Mnouchkine (metteure en scène), Edouard Moradpour (écrivain, membre de l’ADMD), Jocelin Morisson (journaliste scientifique, écrivain) Claire Nihoul-Fékété (chirurgienne), Mathieu Nocent (ancien porte-parole de l’inter-LGBT), Isabelle Oger (artiste plasticienne), Yann Olivier (médecin), Yves Paccalet (écrivain, philosophe), PIEM (dessinateur), Emmanuel Pierrat (avocat), Claudette Pierret (déléguée adjointe ADMD), Paule Plouvier (écrivaine), Arlette Portenseigne (psychothérapeute et psychanalyste), Colette Prochasson (écrivain), Christian Rauth (acteur et scénariste), Eric Rémès (écrivain, journaliste), Martine Risch (médecin), Michel Rostain (écrivain), Johanne Saison (professeure de droit public), Jean-Pierre Sakoun (président du Comité Laïcité République), Jacqueline Salenson (militante), Damien Seguin (skipper, triple médaillé paralympique), Bernard Senet (médecin), François de Singly (sociologue), Franck Spengler (directeur éditorial des éditions Blanche), Alfred Spira (épidémiologiste), Antoine Spire (vice-président  de la Licra) Anthony Stavrianakis (anthropologue), Sophie Taïeb (radiologue), Georges Tarer (ex-membre du comité de parrainage de l’ADMD), Martine-Joséphine Thomas (artiste), Marie-Claude Treilhou (cinéaste), George Vigarello (historien), Brigitte Weber (sage-femme), Marthe Villalonga (actrice), Martin Winckler (médecin), Robert Wohlfart (médecin), Jeanine Yon-Kahn (directrice de recherche honoraire au CNRS).

Paru dans Libération le 1er mars 2018