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Ségolène Neuville, ancienne secrétaire d’État, en charge des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Conseillère Départementale PS des Pyrénées-Orientales, médecin et d’autres femmes très impliquées dans la vie politique en doutent très ouvertement. Égale relaye leur tribune, parue dans le Huffington Post

Pour une femme, vaut-il mieux vivre dans le « nouveau monde » d’Emmanuel Macron ou dans « l’ancien monde »? Il est permis de s’interroger sur la réalité de la volonté politique du Président de la République en matière de droits des femmes !

En ce mois de mai 2018, l’œuvre de Simone de Beauvoir entre enfin aux éditions de La Pléiade…trente-six ans après celle de Jean-Paul Sartre. Simone de Beauvoir fait désormais partie des quatorze écrivaines à avoir ce privilège, parmi 209 écrivains. On est encore très loin de la parité! L’actualité littéraire nous rappelle ainsi, s’il en était besoin, que le combat féministe est loin d’être gagné, et qu’il reste encore beaucoup à faire pour parvenir, dans tous les domaines, à une véritable égalité entre les femmes et les hommes.

Pourtant, un an après l’élection d’Emmanuel Macron, et alors que l’égalité femmes-hommes a été déclarée « grande cause du quinquennat », il est permis de s’interroger sur la réalité de la volonté politique du Président de la République en matière de droits des femmes. Les paroles et les opérations de communication ne peuvent pas remplacer les actes, et pour faire avancer l’égalité, il ne suffit pas d’être un Président jeune, de se prétendre moderne et de souhaiter enterrer « l’ancien monde ». Il convient avant tout de rappeler où nous en étions il y a un an : nous n’avons pas à rougir du bilan du quinquennat de François Hollande dans le domaine de l’égalité femmes hommes, bien au contraire. Dès 2012 un ministère des droits des femmes de plein exercice a été créé et a travaillé en lien étroit avec l’ensemble des associations spécialisées. La liste des actions réalisées et des lois votées est longue et il serait fastidieux de tout énumérer de façon exhaustive : nouvelle loi sur le harcèlement sexuel en juillet 2012, décret du 18 décembre 2012 sur l’égalité salariale, création du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes en 2013, loi de 2014 pour l’égalité réelle, réforme du congé parental, augmentation des allocations pour les familles monoparentales précaires, création de la garantie des impayés de pension alimentaire, 4ème plan interministériel contre les violences faites aux femmes avec amélioration des mises à l’abri des femmes victimes, montée en charge de l’ordonnance de protection, mise en place du numéro d’appel permanent, formation de tous les professionnels concernés, campagne destinée au grand public sur le harcèlement dans les transports, loi d’avril 2016 pour renforcer la lutte contre le système prostitutionnel, renforcement du droit à la contraception et à l’IVG… Aujourd’hui, quelles sont les nouvelles avancées, au-delà de l’agitation médiatique constante de la nouvelle Secrétaire d’Etat aux droits des femmes ? Le premier signal défavorable est survenu dès le mois de mai 2017, lorsque Emmanuel Macron devenu Président de la République a décidé de ne pas garder un Ministère des Droits des Femmes de plein exercice et l’a remplacé par un simple Secrétariat d’Etat. Quelques semaines plus tard, en juillet 2017, une nouvelle alerte est survenue : le budget dédié au Secrétariat d’Etat aux droits des femmes pour l’année 2017 a été amputé de 7,5 millions par annulation de crédits. Depuis, le budget a été sanctuarisé pour la durée du quinquennat selon M. Schiappa, mais l’inquiétude persiste pour les associations spécialisées dans la défense des droits des femmes, car elles n’ont que peu de contact avec le Secrétariat d’État. Elles étaient pourtant habituées à travailler de façon quasi-quotidienne avec les prédécesseures de M. Schiappa, mais la méthode a changé, et cette dernière aime le rappeler : elle n’est pas « la ministre des militantes féministes ». Pourtant depuis 50 ans, ce sont bien les associations féministes et leurs militantes qui ont permis toutes les avancées en matière de droits des femmes, et notamment le fait qu’il y ait des femmes Ministres ou même Secrétaires d’État… Mais le nouveau monde est ainsi fait : il ne s’inscrit dans aucune histoire collective et n’est légataire d’aucun acquis social. Dernière annonce en date qui inquiète les associations : début mai 2018, la Secrétaire d’État déclare dans les médias la création d’un numéro vert dédié aux femmes victimes de violences au travail, géré par le Ministère du Travail. Pourtant, un tel numéro existe déjà, même s’il a été temporairement fermé depuis quelques semaines par manque de moyens : il a été créé et est géré depuis des années par l’association contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Il paraît peu probable que deux numéros verts continueront d’exister sur la même thématique, cela signifie donc à terme la fermeture du numéro de l’association. Dans quel but ? Alors que les juristes de l’AVFT sont formées et très expérimentées ? Qui répondra aux appels du numéro vert géré par l’État ? Il est peu probable que le Ministère du travail embauche de nouveaux-elles fonctionnaires, et le risque est grand qu’au final la gestion soit déléguée à des entreprises privées, avec des employés peu ou pas formés sur le sujet. Inquiétude également sur la volonté du gouvernement de faire appliquer la loi du 10 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel. Les associations abolitionnistes attendent toujours le rapport d’évaluation du gouvernement, qui aurait dû être publié deux ans après l’adoption de la loi, c’est-à-dire en avril dernier. Simple retard dans le calendrier de travail du ministère, ou volonté politique affichée de ne pas mettre en œuvre cette loi sur la sortie de la prostitution ? Autre motif d’inquiétude sur le réel engagement du gouvernement pour l’égalité femmes hommes, la position de la France sur le congé parental européen. Si cette réforme se faisait, il s’agirait d’une avancée majeure pour un meilleur partage des responsabilités familiales entre les femmes et les hommes, et donc pour les carrières professionnelles des femmes, avec un congé parental plus court, mieux rémunéré, et partagé en deux moitiés égales pour les deux parents. Emmanuel Macron a d’ailleurs déclaré qu’il en approuvait le principe. En revanche il s’oppose catégoriquement à sa mise en œuvre car il juge cette réforme trop coûteuse. Autrement dit, d’accord pour l’égalité entre les femmes et les hommes, si elle ne coûte rien… Hasard du calendrier ou pas, exactement au même moment il annonce vouloir faire un nouveau cadeau aux plus riches avec la suppression de l’exit tax. La semaine dernière, la ministre de la Santé est venue en renfort, et a déclaré que le congé parental européen tel qu’il est actuellement proposé par l’Europe « éloignerait les femmes du travail ». Affirmation pour le moins surprenante, quand on sait qu’actuellement en France 96% des congés parentaux sont pris par les femmes ? On ne voit pas bien comment le fait de raccourcir la durée du congé et mieux le rémunérer pourrait aggraver cette inégalité. Enfin, à tout cela se surajoute maintenant les inquiétudes sur la loi contre les violences sexistes et sexuelles. Cette loi était très attendue, car elle devait permettre de mieux protéger les mineurs de 15 ans et moins contre les violences sexuelles. Mais le texte finalement proposé par le gouvernement puis adopté en première lecture à l’Assemblée Nationale soulève plus de craintes qu’il n’en enlève, car il institue un nouveau délit d’atteinte sexuelle avec pénétration chez un mineur de moins de 15 ans par un majeur, sans améliorer la possibilité de qualifier cet acte de crime. C’est-à-dire qu’il n’améliore absolument pas la protection des enfants contre les viols, et à l’inverse il crée une polémique chez les spécialistes du sujet qui redoutent la possibilité de déqualification des viols sur mineurs, de crime en simple délit. Par manque d’écoute et de concertation, un texte très attendu se transforme ainsi en inquiétude supplémentaire, et provoque une levée de boucliers contre son adoption avec une pétition en ligne ayant recueilli plus de 100 000 signatures. Ainsi, un an après l’élection d’Emmanuel Macron, dans le domaine de l’égalité femmes hommes il y a « en même temps » beaucoup d’inquiétudes et beaucoup d’annonces, et malheureusement peu de réalisations concrètes. Pour nous convaincre que vous êtes réellement moderne parce que féministe, Monsieur le Président, il va falloir faire mieux. Pour poursuivre ce qui a déjà été réalisé, pour faire encore davantage et conduire en France une profonde transition féministe, il convient maintenant d’adapter les moyens et les actes à l’ambition affichée.

Signataires : Ségolène Neuville, ancienne secrétaire d’État, membre du bureau national du PS, Laurence Rossignol, ancienne Ministre des Droits des Femmes, sénatrice PS, Geneviève Couraud, Présidente de l’association « l’Assemblée des Femmes », membre du conseil national du PS Maud Olivier, ancienne députée socialiste, ancienne Vice-Présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée Nationale, Marie-Arlette Carlotti, ancienne Ministre, membre du bureau national du PS Martine Pinville, ancienne Secrétaire d’État, membre du bureau national du PS, Clotilde Valter, ancienne Secrétaire d’État, membre du bureau national du PS Olivia Polski, adjointe à la Maire de Paris, membre du bureau national du PS Michèle Meunier, sénatrice socialiste de Loire-Atlantique, Marie-Pierre Monier, sénatrice socialiste de la Drôme, Angèle Préville, sénatrice socialiste du LotSophie Taillé-Polian, sénatrice du Val-de-Marne, Marie-Pierre de la Gontrie, sénatrice socialiste et conseillère de Paris