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En pleins États généraux de la bioéthique, un avis du Conseil économique, social et environnemental (Cese) favorable à une aide active à mourir a fait l’effet d’un pavé dans la mare. Adopté à 107 voix pour, 18 contre et 44 abstentions, cet avis appelle à une nouvelle loi sur «les derniers soins» qui donnerait la possibilité à une personne malade de recevoir «une sédation profonde expressément létale» à sa demande.

La «troisième assemblée» de la République, instance consultative régulièrement critiquée pour son inutilité, a ainsi apporté un soutien inattendu aux partisans de l’aide active à mourir. Sa contribution sera notamment prise en compte par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). Pour expliquer sa prise de position, la commission «fin de vie» du Cese invoque la «persistance de situations dramatiques» : des demandes d’euthanasie qui ne rentrent pas dans le cadre de la loi actuelle. Elle juge aussi que la mise en œuvre de la loi Leonetti-Claeys de 2016 sur la fin de vie est «entravée par des difficultés d’ordre tant médical que juridique et éthique». Ce texte avait consacré le droit des patients en fin de vie à une sédation profonde et continue jusqu’au décès, soit un droit de «dormir avant de mourir pour ne pas souffrir». L’avis fait enfin état des sondages qui «montrent depuis plus de quinze ans que la grande majorité des Français est favorable à une évolution de la législation».

Une «clause de conscience»

Ce droit à des «derniers soins» serait soumis à des conditions et serait assorti d’une «clause de conscience» pour permettre à «tout médecin de refuser de pratiquer l’acte d’euthanasie».

«La loi ne peut pas dire qu’une vie ne vaut plus d’être vécue»

La demande d’une aide active à mourir devrait notamment être réitérée dans un délai minimal de 48 heures après la formulation initiale. Elle ne pourrait s’appliquer qu’aux personnes en souffrance atteintes «d’une affection incurable, en phase avancée voire terminale». L’avis évoque également la possibilité de demander une euthanasie même avec un pronostic vital estimé à six mois. Autrement dit, la sédation létale aurait pu répondre à la demande d’Anne Bert, cette romancière atteinte de la maladie de Charcot qui avait plaidé à l’automne dernier pour la liberté de choisir sa fin de vie en France, avant de partir se faire euthanasier en Belgique. Rapporteur de l’avis, Pierre-Antoine Gailly, ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie de région Paris Île-de-France, confie d’ailleurs avoir été personnellement en contact avec des personnes atteintes par cette maladie dégénérative incurable mais assure que cet avis n’a pas été rédigé «sous emprise émotionnelle forte». Au sein même de la commission fin de vie du Cese, présidée par Jean-François Naton, du groupe CGT, quelques membres issus de l’Unaf (Union nationale des associations familiales) et de la CFTC, ont cependant mentionné leur opposition à une sédation létale. «La loi ne peut pas dire qu’une vie ne vaut plus d’être vécue», ont fait valoir dans le rapport ces voix dissonantes.

Les autres préconisations du texte sont très largement dédiées au développement des soins palliatifs en France. L’avis insiste notamment sur la nécessité d’accroître et mieux répartir leur offre sur tout le territoire, d’exclure ces soins à l’hôpital de la tarification à l’activité (T2A) ou encore de lever les obstacles à la prise en charge palliative de ville.

Un oxymore

En se positionnant à la fois en défenseur des soins palliatifs et en partisan de l’euthanasie sans la nommer, la commission «fin de vie» du Cese semble vouloir abolir les frontières qui séparent les soins palliatifs de l’aide active à mourir. L’utilisation des expressions «derniers soins» et «sédation profonde» reflète cette volonté de situer dans une continuité les soins palliatifs et un geste médical létal.

«Donner la mort n’est pas un soin. C’est un geste en contradiction totale avec la philosophie des soins palliatifs»

«Entre une sédation profonde et continue à effet quasi instantané et une sédation expressément létale, je ne vois pas très bien où est la limite», commente Pierre-Antoine Gailly. Une approche jugée «scandaleuse» par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (Sfap). «Qualifier l’euthanasie de “derniers soins”, c’est un oxymore. Donner la mort n’est pas un soin. C’est un geste en contradiction totale avec la philosophie des soins palliatifs, s’insurge Anne de la Tour, présidente de la Sfap. Alors que des recommandations de la Haute Autorité de santé (HAS) ont précisé le mois dernier l’application de la loi Leonetti-Claeys sur la fin de vie, elle dénonce par ailleurs l’utilisation du terme «sédation profonde» dans l’avis du Cese.

«Aujourd’hui, il est très clair que l’objectif de cette sédation n’est pas d’entraîner la mort. Cet avis du Cese risque d’entraîner une nouvelle confusion», s’inquiète-t-elle. «Peut-on qualifier de dernier soin l’acte de se donner la mort? Il y a des limites et des confusions que l’on ne saurait franchir», avait lancé dès lundi soir Mgr Pontier, dans son allocution au collège des Bernardins, en présence d’Emmanuel Macron. «Ce déguisement de concept est particulièrement grave pour tous ceux qui sont attachés à la confiance entre soignants et soignés», abonde Tugdual Derville, d’Alliance Vita et porte-parole du collectif Soulager mais pas tuer. À l’inverse, Jean-Luc Romero, le président de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), a salué sur les réseaux sociaux la volonté du Cese «certes pudiquement, avec la sédation profonde explicitement létale» de proposer de légaliser l’euthanasie. L’instance, appelée à devenir une «chambre de la société civile» à l’occasion de la réforme des institutions, a précisé s’être autosaisie du sujet de la fin de vie en réponse aux préoccupations citoyennes «exprimées tant au travers de sondages récents que de pétitions en ligne (en faveur d’une aide active à mourir, NDLR) ayant recueilli plus de 350.000 signatures».