-

Avec les évangéliques l’union est consommée entre politique et religion aux États-Unis. Mesures anti-IVG, anti-immigration, diabolisation de l’Iran, décisions pro-israéliennes… Trump met tout en œuvre pour satisfaire les évangéliques, socle de son électorat.

Dieu et les règles qu’il aurait édictées comme fondement des lois, les évangéliques (surtout les plus conservateurs d’entre eux) agissent pour le réaliser. Aux États-Unis, la droite religieuse composée des évangéliques et des catholiques conservateurs peut compter sur d’autres appuis : le secrétaire d’Etat Mike Pompeo, et celui à l’énergie, Rick Perry, ancien gouverneur du Texas, eux aussi évangéliques. Betsy DeVos à l’éducation, occupe une place de choix pour démanteler les programmes scolaires et favoriser les écoles privées.

L’implantation des évangéliques

Les États-Unis comptent entre 60 et 80 millions de protestants évangéliques (environ 25 % de la population). Ils vivent en majorité dans les États ruraux surreprésentés dans le collège électoral, et constituent un bloc bien structuré, actif politiquement, entrainé par les leadeurs des megachurchs, ces églises qui accueillent chaque semaine des milliers de fidèles. Ils prêchent une idéologie chrétienne nationaliste, attachée à un passé mythifié, qui justifie certaines politiques et certaines lois.

La montée des Pentecôtistes

Les États-Unis ne sont pas les seuls à être touchés par la montée en puissance de ces courants qui mêlent politique et religion, particulièrement la galaxie pentecôtiste, la plus offensive. Né en 1906 en Californie, le pentecôtisme est le mouvement évangélique le plus récent. Il connait une expansion mondiale et pénètre l’Amérique latine au détriment de l’Église catholique pourtant traditionnellement implantée. Selon la World Christian Database, il y avait, en 2017, plus de 600 millions de chrétiens pentecôtistes à travers le monde (1,2 milliard de fidèles à l’Église catholique). Les projections en 2050, attribuent au mouvement pentecôtiste plus d’un milliard d’adeptes (pour 1,6 milliard de catholiques).

C’est aux États-Unis qu’ils sont le plus implantés, mais ils progressent dans l’hémisphère Sud : Amérique latine ou Afrique (au Nigeria, en République démocratique du Congo et plus globalement dans la région des Grands Lacs). Sur le continent africain, la confrontation a lieu avec l’islam.

Des pays tels que le Brésil ou la Corée du Sud sont devenus des puissances missionnaires de terrain, suppléant depuis une quinzaine d’années aux organismes américains sur le terrain, comme on l’a vu lors des conflits en Irak ou en Afghanistan. Il faut se rappeler l’été 2007, lorsque les talibans avaient enlevé une vingtaine de missionnaires sud-coréens évangéliques qui se trouvaient à bord d’un car en route vers Kaboul. Ceux-ci participaient à une des nombreuses missions visant les pays musulmans. Sans résultat significatif. Par la suite, des États arabes influents avaient fait pression sur Séoul pour que le passeport des leadeurs missionnaires influents leur soit retiré.

Sur le continent latino-américain, l’influence politique des pentecôtistes et des évangéliques conservateurs (de 15 à 40 % de la population selon les pays) devient très visible. L’élection du Brésilien Jair Bolsonaro le 28 octobre 2018 dont le slogan était : «Le Brésil au-dessus de tout. Dieu au-dessus de tout», en est un symptôme. Lui-même est demeuré catholique, mais sa femme, fréquente une église évangélique. Bolsonaro a bénéficié de l’important soutien d’Edir Macedo, fondateur de l’Église universelle du Royaume de Dieu (EURD), un colossal empire médiatico-religieux pentecôtiste, fondé en 1977 et qui revendique huit millions d’adeptes.

Apologie de la réussite financière

La théologie de la prospérité est une de leur théorie. La réussite matérielle et financière est considérée comme une bénédiction de Dieu. Très répandue (y compris en France, où Charisma, la plus importante Église indépendante pentecôtiste, accueille en Seine-Saint-Denis, une population essentiellement d’origine africaine), elle a permis l’enrichissement de pasteurs, en assurant la promotion d’un libéralisme économique débridé.

Pour les États-Unis, les organismes missionnaires évangéliques et pentecôtistes ont effectivement participé de ce qu’on appelle le soft Power. Dans le contexte de la guerre froide avec la peur du communisme, le pentecôtisme était utilisé comme un rempart à la diffusion de cette idéologie. L’exemple le plus frappant est celui de la Corée du Sud, où les Églises pentecôtistes ont fleuri dans les années 60 et 70. Ainsi, le pasteur Cho Yonggi, fondateur de la très puissante Yoido Full Gospel, l’un des grands leadeurs pentecôtistes mondiaux, a commencé sa carrière comme traducteur de l’armée américaine (il a été condamné en 2014 pour escroquerie).

L’action politique, une révolution interne

La galaxie pentecôtiste et évangélique a commencé à muer en force politique au tournant des années 2000, sous Reagan. Ils constituent cette droite religieuse «théoconservatrice», qui rassemble des milieux catholiques et évangéliques conservateurs. L’un de ses théoriciens a été l’universitaire américain George Weigel, également grand biographe et proche du pape Jean-Paul II. Leur théorie politique se base sur une sorte d’élection divine des États-Unis, qui justifierait de réimposer une norme chrétienne à la société américaine, afin de s’opposer à la sécularisation.

En passant à la politique active, ils ont opéré une révolution interne, passant de la volonté de convertir des individus et de sauver des âmes à celle de reconquérir des territoires qu’ils estimaient abandonnés à Satan (théologie du combat spirituel de Peter Wagner).

En 2004, le poids politique des évangéliques éclate au grand jour avec George Bush, un «born again» (converti au protestantisme évangélique), qui leur doit sa réélection. George W. Bush avait instauré des séances d’étude de la Bible à la Maison Blanche. Il utilisait un vocabulaire mystique lorsqu’il évoquait «l’axe du mal».

En décembre 2016, ils ont obtenu leur plus éclatante victoire avec la décision de Donald Trump de transférer à Jérusalem l’ambassade des États-Unis, suivi aussitôt par le Guatemala. Dans l’idéologie et l’imaginaire politique de ces chrétiens, le soutien à Israël occupe une place centrale : croyant à la fin des temps, ils espèrent le retour de Jésus sur Terre, mais celui-ci serait soumis, selon une croyance élaborée au XIXe siècle, à un retour de tous les juifs sur la terre d’Israël. D’où leur soutien indéfectible à l’État hébreu et leur implication sur le terrain.

Trump avait choisi le gouverneur de l’Indiana, Mike Pence, comme vice-président, un catholique devenu protestant évangélique, qui aime à se définir comme «Chrétien, conservateur et républicain, dans cet ordre.» Le résultat dans les urnes ne s’est pas fait attendre; en novembre 2016, 80 % des évangéliques blancs ont voté pour Trump. Puis ils ont travaillé à associer politique et religion.

Pendant sa campagne, Trump avait multiplié les engagements aux protestants évangéliques. Il avait promis de ne nommer que des juges «pro-life» dans tous les tribunaux, jusqu’à la Cour suprême, pour «annuler Roe v. Wade» (l’autorisation de l’IVG) tout en accusant Hillary Clinton de «vouloir arracher les bébés des entrailles de leur mère». Alors qu’il se disait «très pro-choice» à la fin des années 90, il déclarait le contraire dans son discours sur l’État de l’Union de 2019 au Congrès : «Laissez-nous réaffirmer une vérité fondamentale : tous les enfants, nés ou à naître, sont créés à l’image de Dieu».

Sur le plan intérieur, Trump leur donne encore des gages quand il brandit ses mesures anti-musulmans, anti-immigration, anti-IVG, anti-LGBT, ou quand il met en avant les nombreuses figures évangéliques de son administration. Pourtant, rarement un président des États-Unis n’a été, par son mode de vie, si éloigné des valeurs chrétiennes conservatrices. Issu d’une famille protestante, il fréquente davantage les églises par opportunisme que par foi personnelle et a divorcé deux fois. Selon Philippe Gonzalez, il s’agit là d’une troisième génération de politiques qui pénètre les instances du pouvoir.

Leur discours sans surprise affiche la défense des valeurs familiales traditionnelles chrétiennes, la lutte contre l’avortement, les droits LGBT, l’opposition, la théorie de l’évolution ou les études de genre. Ils ont développé une véritable capacité à pénétrer dans les milieux populaires en s’associant, comme on l’a vu au Brésil et aux États-Unis, à un discours populiste.

Leurs projets de conquête se concrétisent essentiellement en Chine (où il y aurait une centaine de millions de protestants) ou dans le monde musulman.

Il semble que parmi les évangéliques, il existe des progressistes qui sont en désaccord avec ce positionnement, mais ils n’ont aucun poids politique.

La Campagne anti IVG

Aux États-Unis, aucune loi adoptée par un État contre l’avortement ne peut être légale. Pour ce faire il faut que cela monte à la Cour Suprême qui a déjà voté en 1973 une loi légalisant l’avortement pour toute femme qui le veut.

Les évangéliques pilotent cette offensive illégale aux États-Unis avec l’objectif de contraindre la Cour Suprême à changer la loi fédérale. Une loi anti IVG a déjà été votée dans le Missouri, l’Alabama, la Géorgie, l’Ohio, le Kentucky.

Ces lois seront probablement bloquées par un tribunal. C’est ce qu’attendent les opposants à l’avortement, qui multiplient les fronts à travers le pays : si des juges fédéraux bloquent le texte, les États peuvent faire appel de la décision, dans l’espoir d’aller jusqu’à la Cour suprême. Leur but est de faire abolir l’arrêt fédéral Roe v. Wade, qui a reconnu en 1973 le droit des femmes à avorter. Les «pro-life» – ( les anti-IVG), en opposition aux défenseurs des droits reproductifs, les «pro-choice» -, sont enhardis, ces derniers mois, par l’arrivée à la Cour suprême de deux magistrats conservateurs nommés par Trump, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh. Ils ont l’espoir qu’une Cour de plus en plus conservatrice (5 juges sur 9) affaiblira, voire annulera, l’arrêt de 1973.

Martine Cerf

Bibliographie

Philippe Gonzalez : Que ton règne vienne. Des évangéliques tentés par le pouvoir absolu (éditions Labor et Fides)

Yannick Fer et Gwendoline Malogne-Fer, Femmes et pentecôtismes. Enjeux d’autorité et rapports de genre