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Après la condamnation de 5 femmes ayant manifesté dans une église pour le maintien du droit à l’avortement en Espagne, Laura Dorado, militante féministe, membre de l’organisation de jeunesse Arran et César Oltra, membre de Alerta Solidària, l’organisation de soutien aux militants mis en accusation et frappés de représailles s’expriment sur les dérives anti-laïques et anti féministes de l’état espagnol. 

« Entre mars 2014, nous luttions pour le maintien du droit à l’avortement et nous avions décidé de dénoncer le rôle de l’Église catholique, apostolique et romaine dans l’instigation de cette loi anti-IVG à venir, » précise Laura Dorado. « Nous voulions attirer l’attention sur cette relation implicite et tacite, qui semble ne pas exister, entre Église et État, et qui n’apparaît pas seulement dans la contre-réforme de la législation sur l’avortement, mais aussi dans de nombreux commentaires et déclarations de la Conférence épiscopale, d’évêques et de prêtres, non seulement contre les droits des femmes, mais aussi contre toute dissidence sexuelle. Il paraît que L’État espagnol est un État a-confessionnel, ce qui n’est pas la même chose que laïque, mais cette religion s’impose à nous dans de nombreux domaines de notre vie. Bien que l’article 16.3 de la Constitution espagnole déclare qu’« aucune confession n’a de caractère étatique », le même alinéa de l’article établit que les pouvoirs publics doivent établir « des relations de coopération avec l’Église catholique » et il est significatif que la sentence de l’Audience des Baléares rappelle que « la religion catholique est la seule qui jouisse d’une reconnaissance constitutionnelle explicite ». Quelques semaines après l’approbation de la Constitution en 1978, L’État espagnol avait signé un nouveau concordat avec le Vatican. Il impose des restrictions à la liberté académique pour ne pas contredire la doctrine chrétienne qui doit être enseignée obligatoirement dans tous les établissements d’enseignement par un personnel enseignant désigné individuellement par l’évêché. Il reconnaît le droit de L’Église à établir des centres d’enseignement non universitaires et à organiser des cours dans les universités publiques, impose le devoir de L’État de maintenir l’Église catholique avec des fonds publics. Il lui concède une myriade d’exemptions fiscales et confirme l’adoption du calendrier chrétien comme calendrier officiel des jours fériés ».

Une intrusion pacifique d’une dizaine de minutes

Pour dénoncer cette collusion entre l’Église et l’État, vingt ou trente femmes dont plusieurs militantes d’Arran sont entrées dans l’église Saint Michel de Palma le 9 mars pour crier « Avortement gratuit et dehors les rosaires de nos ovaires », interrompant la messe pendant une dizaine de minutes. Le prêtre avait décidé de ne pas les dénoncer, ce qu’il a pourtant fait après pressions de l’évêché qui porta plainte le 14/3. Les premières arrestations ont eu lieu 3 jours plus tard. Les militantes ayant refusé de négocier avec l’évêché et refusé de demander pardon à l’Église pour leur intrusion, elles ont été condamnées en première instance à une peine de prison. Après rejet récent de leur pourvoi en cassation, elles viennent d’être condamnées à 1 an de prison ferme qu’elles n’effectueront pas puisqu’elles n’ont pas d’antécédents judiciaires et que la peine est inférieure à deux ans de prison.

Un procès qui met en lumière la tutelle de l’Église sur l’état

« Dans la sentence du Tribunal suprême, la liberté religieuse est mise au-dessus de notre liberté d’expression, » explique Laura Dorado. «  Et pourtant, du droit à la liberté religieuse ne se déduit pas l’interdiction de réaliser des actes de protestation politique pacifique dans les églises. D’autant moins quand l’objectif de la protestation n’était pas de dissoudre la cérémonie, mais de protester contre l’avant-projet de Ruiz Gallardón et la position de la hiérarchie ecclésiastique dans ce conflit. En outre, le fait que les peines prévues dans l’article 523 du Code pénal soient plus élevées que celles que prévoit l’article 514.4 est discriminatoire pour les réunions et manifestations non religieuses et viole le principe de l’égalité de tous les Espagnols proclamé dans l’article 14 de la Constitution. Tout cela met en évidence, une fois de plus, les privilèges dont jouit la religion catholique dans l’ordre juridique espagnol. »

Des militantes fières de leur action et prêtes à continuer le combat

Nous ne vivons pas comme une défaite d’avoir été condamnées à une année de prison parce que nous avons réussi beaucoup de choses : la contre-réforme de Ruiz Gallardón a été freinée, en dépit d’un article restrictif sur l’interruption volontaire de grossesse,  nous n’avons pas demandé pardon ni ne nous sommes agenouillées à aucun moment, nous avons exposé leurs dérives à la vue de toute la société majorquine, au point que même les personnes pieuses qui nous connaissent n’arrivent pas à croire qu’ils aient pu demander des peines aussi exorbitantes.

Nelly Fouks d’après  un entretien de Daniel Escribano et Ariadna Suari, repris sur « entreleslignesentrelesmots »