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Le Conseil d’État doit se prononcer prochainement sur la possibilité d’installer des crèches de Noël dans les mairies. La rapporteure du Conseil d’État, Aurélie Bretonneau a considéré que le principe de neutralité « n’interdit pas d’installer des crèches sur le domaine public », en oubliant que la laïcité en France n’est pas que la neutralité de l’État mais également la séparation des Églises et de l’État.

Autoriser sous condition l’installation de crèches de Noël dans les mairies ne saurait être acceptable ni conforme à l’article 28 de la loi de séparation du 9 décembre 1905. Cet article dit très clairement : «Il est interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »[1]

Le caractère religieux d’une crèche de Noël ne fait aucun doute. Une crèche est une représentation de la naissance d’un enfant dit fils de dieu et dieu lui-même, à côté de sa mère dite «  immaculée conception », c’est à dire les deux éléments emblématiques qui fondent la religion catholique et elle seule. Cet affichage est donc bien contraire à l’article 28.

D’ailleurs si les crèches n’étaient cultuelles, comment expliquer leur installation systématique dans toutes les églises où se célèbre la messe de minuit le 24 décembre ?

Aurélie Bretonneau, conclut « Nous ne croyons pas que le contexte de crispations sur la laïcité vous impose d’instruire par principe le procès de la crèche ». Étrange façon d’inverser la situation ! Depuis l’apparition récente de crèches dans certaines mairies, la question est posée à l’envers. Les laïques sont accusés de vouloir interdire les symboles religieux dans les bâtiments publics, alors qu’ils le sont depuis plus d’un siècle. La seule question légitime serait : pourquoi veut-on introduire maintenant des symboles religieux là où ils sont interdits ?

La laïcité est un principe qui a pacifié notre société. Cela ne veut pas dire que toutes les religions doivent dorénavant occuper les espaces de la République, mais qu’elles en sont toutes exclues. Marianne ne siège pas à côté d’un crucifix, d’un croissant ou d’une ménorah. Aristide Briand, rapporteur de la loi de séparation explicitait ainsi cette interdiction devant les députés : «L’article [28] ne s’applique qu’aux emplacements publics, c’est-à-dire qui sont la propriété soit de l’État, soit du département, soit de la commune. Ce domaine est à tous, aux catholiques comme aux libres penseurs. C’est lui seul que nous avons voulu soustraire aux manifestations religieuses prenant la forme d’emblèmes ou de signes symboliques »

Chaque symbole religieux doit donc rester dans le bâtiment qui lui est dévolu. Les représentations du Christ à l’église, les croissants à la mosquée, les menorah à la synagogue. C’est cela qui a pacifié notre société et vouloir y renoncer c’est courir le risque de faire naître à nouveau des tensions entre les citoyens.

La séparation est garante de nos libertés, car le législateur peut se déterminer librement, indépendamment de toute prescription ou morale religieuse. Reprenons encore les propos d’Aristide Briand devant les députés : « À mon avis, messieurs, l’État a le droit, je considère même qu’il a le devoir de reprendre en matière confessionnelle sa pleine et entière liberté …mais il n’est pas une liberté dont jouisse ce pays qui n’ait dû être conquise sur les résistances acharnées de l’Église »

Si l’on doutait de l’actualité de ces propos, citons quelques-unes des libertés conquises grâce à la laïcité : la contraception, la légalisation de l’IVG, le mariage pour tous, la sédation en fin de vie…Sans la séparation, le législateur n’aurait pu les voter.

N’oublions pas l’exemple de pays où il n’y a pas de séparation, comme en Pologne ou en Hongrie : ces libertés sont inexistantes ou gravement menacées et il s’en est fallu de peu qu’elles ne reculent en Espagne.

Le Conseil d’État doit trancher clairement en faveur d’une application précise de notre droit, qui ne déforme pas l’intention du législateur et ne laisse aucun zone d’ombre préjudiciable au bon fonctionnement de la justice.

Martine Cerf

  1. voir la position de l’Association des maires de France (AMF) dans son vademecum qui recommande d’interdire tout symbole ou signe religieux