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Article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

25 février 2024, rencontre entre le ministre de l’Intérieur et des élus. Elle se conclut sur un accord de principe, présenté ainsi par le ministre (Le Monde daté du 26-02-2024) :

« Je pense que nous cheminons vers un consensus », s’est-il félicité, en espérant que celui-ci permette « ensuite à l’Assemblée territoriale, au président de la République et demain, peut-être, au Parlement de réformer la Constitution pour la Corse ».

Le premier sujet mentionné par le ministre est la reconnaissance « que la collectivité de Corse a une place singulière dans la Constitution », avec ses « spécificités linguistiques, culturelles et insulaires » et « son attachement à la terre ».

Deuxième point : le gouvernement souhaite que la Corse dispose d’une « habilitation générale » pour adapter à sa situation des textes législatifs et réglementaires.

Troisièmement, la Corse serait dotée de la compétence législative et réglementaire, c’est-à-dire d’une autonomie normative, dans des domaines qu’une loi organique fixerait. Avec « deux garde-fous », a prévenu M. Darmanin : chaque texte devra être soumis au Conseil d’État pour avis et au contrôle du Conseil constitutionnel.

Quatrième point : les Corses seront consultés sur ce nouveau statut, et devront donner leur accord. Enfin, il faudra décider si la réforme est inscrite dans un titre de la Constitution, comme le souhaitent les nationalistes, ou dans un simple article, une option qui a la préférence du président de la République, Emmanuel Macron.

Qestions : le caractère insulaire de la Corse est évidemment propre à cette région (sauf à considérer les départements et collectivités d’outre-mer) ; mais ses spécificités linguistiques et culturelles distinguent-elles réellement la région d’autres territoires métropolitains connaissant aussi de telles spécificités (Alsace, Pays Basque, Bretagne, voire Occitanie, Flandre ou Savoie…) ?

L’organisation décentralisée de la République ne risque-t-elle pas de déboucher, progressivement vers un statut (ou au moins une réalité de fait) de Fédération de régions autonomes ?

 

Comparaison avc l’Alsace

Les histoires de l’Alsace et de la Corse sont à l’évidence fort différentes.

Leurs revendications en matière d’autonomie législative et réglementaire présentent aussi une différence fondamentale :

  • Pour la Corse, il s’agit d’aménager le droit national actuel et de créer à terme un droit spécifique à l’Île.
  • Pour l’Alsace, il s’agit essentiellement de maintenir un droit local existant, issu principalement de lois françaises antérieures à 1871 et de lois allemandes de la période 1871-1918. Les aménagements auraient pour objet de le moderniser, l’adapter à la société actuelle, pour le conforter, le pérenniser. Comme le défend l’Institut du Droit Local, celui-ci devrait se transformer d’un droit historiquement maintenu à un droit territorial autonome.

Or, le Conseil constitutionnel dans sa décision SOMODIA du 5-08-2011 a précisé que : « Le caractère transitoire du maintien du droit alsacien-mosellan ne fait pas obstacle à ce que le législateur puisse adapter les règles de droit local. Toutefois, il ne peut en résulter ni un accroissement du champ d’application des différences ni une augmentation de celles-ci. »

Cette décision est évidemment fort contestée par les partisans d’une autonomie juridique alsacienne… Elle ne pourrait, vraisemblablement, être contournée que par une modification constitutionnelle, appelée de ses vœux par l’Institut du Droit Local.

 

Petite histoire des structures propres au droit local.

  • De 1985 à 2014, existait une Commission d’harmonisation du Droit privé. Présidée par un sénateur alsacien, elle ne comporte que des juristes et son secrétariat est assuré par la Cour d’appel de Colmar. Comme son nom l’indique, son champ d’action est limité.
  • En 1985 aussi est créé, sous forme associative, l’Institut du Droit Local (suite à la préconisation d’un rapport de 1982 au Premier ministre rédigé par Jean-Marie Bockel (alors député socialiste haut-rhinois). Il se présente ainsi (site de l’IDL) :

« L’Institut a pour tâche de promouvoir une connaissance plus approfondie des diverses composantes du Droit local ainsi que des problèmes juridiques que soulève sa combinaison avec le Droit général français. L’Institut du Droit local est investi d’une mission de synthèse et d’impulsion, à la disposition des administrations, des élus, des praticiens et du public ; sa mission a été reconnue d’utilité publique par le préfet en 1995. L’Institut du Droit Local est un organe technique et scientifique à la disposition des institutions et du public confrontés au Droit local. »

On doit lui reconnaître la mise en forme qui était nécessaire de l’essentiel des très nombreuses dispositions du doit local et sa publication : le Code du droit local alsacien-mosellan, Lexis-Nexis 2020 (nouvelle édition 2024). Il a également, suite à une décision du Conseil constitutionnel, traduit en français un bon nombre de textes allemands.

Avec son président, Jean-Marie Woehrling, ancien président du Tribunal administratif de Strasbourg, il se présente comme le conservateur et le défenseur des régimes dérogatoires, notamment dans le domaine religieux.

  • En 2014, un décret du 26 janvier, signé par le Premier Ministre Jean-Marc Ayrault, crée la Commission du Droit Local d’Alsace et de Moselle. Sa composition est décidée par le Garde des Sceaux Christiane Taubira. C’est alors un véritable club des bénéficiaires des privilèges du droit local (les représentants des cultes, des professions libérales, … mais sans représentants des salariés, ni des structures laïques). Son secrétariat est assuré par… l’Institut du Droit Local qui impose largement sa ligne politique.
  • Le renouvellement de sa composition n’étant pas décidé, la Commission connaît un sommeil de plusieurs mois. Un nouveau décret, de décembre 2021, crée une nouvelle Commission, cette fois directement rattachée au Premier ministre. Sa composition n’est publiée que récemment (Arrêté du 1er février 2024). Elle ne comporte cette fois que des représentants des associations des maires des 3 départements, des Chambres consulaires, de la Chambre des notaires et de la Caisse d’Assurance retraite et santé. La présidence et le secrétariat échoit au Préfet de Région. Exit les parlementaires, les représentants des cultes et… l’Institut du Droit Local !
  • D’après la Presse, la Préfète a même « remis à sa place » l’Institut en déclarant qu’« il s’agit d’une association dénuée de toute autorité particulière et dépourvue du rôle légal et officiel de la commission». Elle a aussi ignoré une autre structure associative créée par les élus politiques qui se présentait sous le titre de « Conseil représentatif du droit local ».

Cette apparente reprise en main du dossier alsacien par l’État tranche avec les annonces d’autonomie pour la Corse !

Dossier à suivre…

 

Michel Seelig