La Cour suprême des États Unis a décidé de supprimer la garantie fédérale du droit à l’avortement, en renvoyant cette décision à chaque État. Le Missouri, l’Arkansas et l’Oklahoma se sont empressés de l’interdire (et d’autres suivront) pendant que vingt-deux États (surtout sur la côte Ouest et dans le Nord-Est) le réaffirmaient sans équivoque. Après cinquante ans de liberté, les américaines sont renvoyées à l’humiliante situation de laisser à d’autres le droit de disposer de leur corps. Nous voyons avec horreur se profiler le cauchemar d’une société dominée par des croyances inhumaines, évoquée dans le roman de Margaret Atwood, La Servante écarlate .
C’est un plein succès pour les activistes évangéliques qui infléchissent les décisions politiques à coups de millions de dollars. On voit la limite de la séparation des Églises et de l’État américaine, conçue pour protéger les religions de l’influence de l’État. Ce dernier leur laisse le champ libre pour imposer aux autres ce que leur croyance leur dicte. Et on sait qu’ils comptent aussi s’attaquer à la contraception et au mariage des couples homosexuels. Ils ne s’arrêteront pas là, car ce sont tous les Droits humains qu’ils veulent détricoter, parce qu’au fond, la liberté et l’égalité les indispose.
Il serait illusoire de croire que ce mouvement ne pourrait pas toucher l’Europe. car il s’y emploie déjà depuis longtemps, comme on pouvait le constater à la lecture du rapport de 2018 « Restaurer l’ordre naturel » de l’EPF (European Parliamentary Forum) que nous avons publié ici même et qu’il est temps de relire pour se rafraîchir la mémoire. Cette mouvance conservatrice chrétienne est largement financée par quelques milliardaires, bénéficie d’une organisation mondiale très structurée, est soutenue par le Vatican. Celui-ci n’a-t-il pas publié récemment par la voix de son lobby officiel à Bruxelles, la COMECE, un communiqué affirmant que le droit à l’avortement n’était pas un droit fondamental et qu’il pouvait donc être interdit par certains États membres ? Si le Parlement européen d’aujourd’hui ne l’a pas suivi et a affirmé qu’il s’agissait bien d’un droit fondamental, qu’en serait-il si un nouveau Parlement comportait une majorité de députés issus de l’extrême droite conservatrice ? Nos droits fondamentaux sont fragiles et nous avons tout lieu de leur apporter un soin constant.
Nous devons nous réjouir de la décision du groupe LREM à l’Assemblée nationale, sous l’impulsion de sa présidente, Aurore Bergé, de déposer une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’avortement dans la Constitution française. Cette proposition de loi a toutes les chances de passer à l’Assemblée, mais devra aussi être adoptée au Sénat dont le conservatisme actuel pourrait s’exprimer par un rejet.
Il faut pourtant, résolument, tout mettre en œuvre pour faire barrage à ces opposants aux libertés et aux droits humains.
Martine Cerf