Nous publions un dossier sur la Suisse où le Canton de Genève vient de voter une loi sur la laïcité qui comporte une forte parenté avec la loi française du 9 décembre 1905. Bien que votée à une large majorité par le Grand conseil genevois, cette loi est aujourd’hui contestée.
Pourquoi une loi maintenant sur la laïcité à Genève ?
En Suisse, chacun des 26 cantons se prononce sur les religions. Seuls ceux de Genève et de Neufchâtel ont opté pour une laïcité avec séparation stricte de l’État et des Églises. En 1907, à Genève, était votée une loi sur la suppression du budget des cultes, dans un contexte de conflit entre catholiques et protestants. Dans les autres cantons, c’est généralement la neutralité confessionnelle de l’État qui prévaut, avec une forte influence religieuse, appuyée par des subventions directes aux cultes reconnus ou par un impôt ecclésiastique.
La nouvelle loi sur la laïcité votée le 26 avril 2018 par les députés du Grand conseil genevois a été adoptée par une large majorité : 63 oui, contre 25 non et 3 abstentions. Elle découle de la nouvelle Constitution genevoise, en vigueur depuis le 1er juin 2013 qui indique simplement dans son article 3, alinéa 3 que «les autorités entretiennent des relations avec les communautés religieuses». Il importait donc de préciser la nature de ces relations.
Le contenu de la loi ne modifie pas sensiblement les mesures déjà en vigueur, mais il pose un principe revendiqué très fortement dans le seul canton de Genève : celui de la neutralité religieuse de l’État. La loi interdit le port de signes religieux ostentatoires aux élus comme aux agents de l’État, du canton, des communes.
La fin de la contribution ecclésiastique : dans dix ans est programmée la fin de la contribution libre des Genevois en faveur des Églises. Mais l’État continu de collecter la contribution volontaire des citoyens limités à 1,5 % du revenu imposable.
Un droit de préemption des communes lors de transactions de vente de certains biens appartenant aux Églises.
La garantie (art 8) d’« un accompagnement philosophique, spirituel ou religieux » pour toute personne se trouvant dans des structures fermées, par des personnes agréées par l’autorité compétente.
Le fait religieux enseigné dans les écoles publiques doit l’être par les enseignants de ces établissements.
Selon le Pasteur Emmanuel Fuchs, président de l’Église protestante de Genève, les débats qui ont duré plus de trois ans ont été assez bien menés et chacun a pu exposer ses positions de manière très claire.
Selon Pascal Desthieux, vicaire épiscopal de l’Église catholique romaine, le texte proposé serait plus juridique qu’auparavant et illustrerait un état d’esprit qui témoigne « d’une certaine méfiance envers les religions”. Il craint que la suppression de la contribution volontaire ne mette en péril les revenus de l’église dont environ 15 % étaient assurés par ce moyen.
Les associations musulmanes ne sont pas toutes favorables à ce texte, car certaines rejettent la laïcité française, notamment, l’interdiction pour les élus et les fonctionnaires de porter des signes religieux ostentatoires. Il faut garder en mémoire l’influence forte de Hani Ramadan que la France a préféré reconduire à la frontière en 2017.
Vers une votation populaire?
Les opposants à cette loi tentent de déclencher une votation (référendum) qui pourrait la faire abroger, tandis que ses partisans se mobilisent pour faire échouer cette tentative.
Martine Cerf
Sources : Dictionnaire de la Laïcité, Armand Colin, 2016, sites hdps://www.cath.ch, hdp://
reformes.ch, hdps://www.rts.ch, hdps://lesobservateurs.ch, hdps://lemuslimpost.com
Pourquoi un référendum contre la loi sur la laïcité ?
Le mode de fonctionnement suisse à ce8e par6cularité que les citoyens sont fréquemment
Interrogés directement sur des sujets de société brûlants. Bien que la loi genevoise sur la
laïcité a été votée fin avril par le Grand conseil à une forte majorité, quatre demandes de
référendum ont été lancées contre elle. Les organisations demandeuses se sont réunies dans
une coordination référendaire qui rassemble des membres d’organisations politiques, religieuses, féministes et syndicales. Les reproches faits à la loi sur la laïcité de l’État sont de
plusieurs ordres :
- elle manifesterait une ingérence de l’État genevois dans l’organisation des
communautés religieuses
- elle serait attentatoire aux droits des personnels du secteur public à manifester leurs
convictions religieuses
- elle soumet les manifestations religieuses aux règles ordinaires des manifestations
dans le domaine public alors que selon les signataires ce ne devrait pas être le cas.
- Elle discriminerait les femmes en les excluant de l’accès au travail dans le secteur public
On peut reconnaître des débats très parents de ceux qui sont rencontrés en France en
particulier avec des mouvements féministes dont l’unique revendication et de pouvoir porter le voile, comme s’il n’était pas un symbole d’un ordre patriarcal où la femme à moins de droits que les hommes et leur doit obéissance. Ces mêmes mouvements ne prennent
jamais en considération les milliers de femmes qui subissent des violences et parfois perdent
la vie parce qu’elles ne veulent pas porter ce même voile.
Les autres mouvements, d’inspiration multiculturaliste, considèrent qu’il est légitime de faire
toutes sortes d’accommodements qui permettent à ceux qui se revendiquent d’une religion
d’échapper à la loi commune. Loin de contribuer à la pacification de la société, ces
mouvements attisent au contraire le feu des divisions et il serait dangereux qu’ils obtiennent
gain de cause.
S’ils parviennent à rassembler 5200 signatures d’ici le 20 juin, un référendum aura bien lieu et ce sera la population qui dira si elle accepte ou rejette cette loi sur la laïcité.
Martine Cerf
Un appel des laïques pour soutenir la loi sur la laïcité.
Les partisans de la laïcité dans le canton de Genève se sont également mobilisés pour contrer ceux qui appellent à rejeter la loi sur la laïcité. Nous publions ici cet appel que l’on peut signer et appuyer sur la page Facebook : hFps://www.facebook.com/laicitegeneve2018 :
Appel pour une laïcité garante de la paix et de nos libertés
Pour une laïcité garante de la paix et de nos libertés
Le Grand Conseil vient d’adopter à une large majorité la loi sur la laïcité de l’État après deux ans de travaux en commission et un long débat en séance plénière. Cette loi délimite les domaines dans lesquels la laïcité pourra s’exercer à Genève tout en garantissant les libertés fondamentales. Fruit d’une négociation et d’un accord entre les composantes de la société genevoise, cette loi nous paraît répondre à la situa5on actuelle. Elle est équilibrée et conforme aux principes républicains.
La laïcité garantit la neutralité confessionnelle de l’État ainsi que la liberté individuelle de chacun d’adhérer ou non à une religion. La laïcité est en vigueur à Genève depuis 1907. Elle a permis de mettre un terme à une longue période de tensions religieuses, de protéger la paix confessionnelle et de maintenir la concorde sociale.
Les anciens textes de loi, marqués de l’esprit des siècles passés, devaient être adaptés aux conditions d’aujourd’hui. La loi sur la laïcité de l’État récemment adoptée est le résultat de cette mise à jour. Cette loi éloigne le danger intégriste, elle assure la sérénité de l’enseignement, elle renforce la neutralité de l’administration, elle limite enfin l’usage abusif de l’espace public par des organisa5ons prosélytes ou sectaires.
La laïcité demeure le plus sûr rempart contre la résurgence de nouveaux conflits. Or, des groupes minoritaires représentants d’intérêts communautaires et séparatistes ont entrepris de combattre cette loi par référendum. Nous sommes bien conscients du péril potentiel que la remise en cause de cette loi ferait courir aux institutions publiques ainsi qu’à la bonne marche de la démocratie genevoise.
Nous refusons la régression souhaitée par les référendaires. Hors de toute considération politicienne, idéologique ou partisane, nous refusons le recul de nos droits fondamentaux et nous signons cet appel pour défendre la laïcité garante de la paix civile et de notre liberté.
Signataires :
Pierre Gauthier, initiateur de l’appel
Magali Orsini, expert-comptable, ancienne enseignante de droit fiscal HEG
Dimitri Châtelain, agent de voyages
Jean-Louis Carlo, employé municipal Ville de Genève
Marco Polli, acteur culturel, membre de la rédac5on de ‘Culture en jeu’
Mireille Vallette, essayiste et blogueuse
Vincent Schmid, pasteur honoraire
Salika Wenger, styliste retraitée
Patrick Lussi, responsable communal de sécurité retraité
Natacha Buffet-Desfayes, enseignante
Minou Cavin, citoyenne
Nicolas Girod, enseignant
Saïda Keller-Messahli, journaliste, écrivaine, Forum pour un Islam progressiste
Olivier Zimmermann, employé de commerce
Jean Romain, chroniqueur, écrivain
Joëlle Gauthier-Perrin, assistante médicale retraitée
Bertrand Reich, avocat
Fabienne Alfandari, coach
Rivka Gianni, psychologue, coach
Karine Launay, traductrice
Sébastien Desfayes, avocat
Chantal Viollaz, enseignante retraitée
Gabriel Thullen, enseignant, joueur international de handibasket
Joël Flaks, chef de production audiovisuelles et spectacles
Léon Meynet, animateur socioculturel, rela5ons publiques
Corinne Humberset, assistante juridique
Alain Rieder, musicien
Soutiens internationaux :
Anne-Laure Neron (France), rédactrice-conceptrice
Ibtissame Betty Lachgar (Maroc/France), militante pour les libertés individuelles
Djemila Benhabib (Canada), écrivaine, journaliste, enseignante et conférencière
Louise Mailloux (Canada), philosophe, conférencière et essayiste
Guy Haarscher (Belgique), professeur émérite de l’Université libre de Bruxelles, professeur au Collège d’Europe à Bruges.
BILLET D’HUMEUR : L’EUROPE, REPOUSSOIR OU MODÈLE ?
C’est vrai qu’il y a de quoi s’inquiéter ! En Pologne, les conservateurs bienpensants au pouvoir veulent supprimer presque toute possibilité de pratiquer un avortement. En Hongrie, le pouvoir multiplie les déclarations antisémites. En Bavière, les autorités imposent le crucifix dans les bâtiments publics. En Italie, l’alliance Cinq-étoiles/Ligue du Nord souhaite proscrire les francs-maçons de la vie publique …
Mais ces nuages noirs ne doivent pas nous empêcher de voir et de célébrer des avancées certaines pour les libertés, et tout particulièrement la liberté de conscience ! Les Irlandais ont massivement refusé de suivre l’Église catholique lors du referendum sur l’IVG. Le Grand-Duché de Luxembourg a en très grande partie effacé les effets du Concordat et autres textes favorables aux cultes datant du XIXe siècle. Et en Suisse (je sais, elle n’est pas dans l’UE, mais c’est un de nos proches voisins), le canton de Genève vient d’adopter une loi exemplaire sur la laïcité…
Alors en France ? De quel côté allons-nous nous diriger ? Du côté des « autorités » religieuses, ou dans le sens du progrès en prenant, enfin, des décisions courageuses sur la bioéthique, la fin de vie, et … les régimes d’exception qui régissent les cultes en Alsace, Moselle et outre-mer ?
Michel Seelig