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Parmi les nombreuses personnalités citées dans son dernier discours du 9 avril devant les prélats et les auditeurs de l’Académie catholique de France, Emmanuel Macron a mentionné deux noms qui semblent ne pas voir retenu l’attention des médias (à de rares exceptions près).

Henri Marrou tout d’abord, professeur à la Sorbonne au siècle dernier, était un historien de l’Église catholique. Parmi ses ouvrages, on peut citer particulièrement le tome premier de la Nouvelle Histoire de l’Église, des origines à Saint Grégoire le Grand, paru au Seuil en 1963 et coécrit avec le célèbre cardinal Daniélou. Les cours dispensés par Marrou, fervent disciple de saint Augustin, ne s’écartaient guère de ses choix confessionnels. S’agissant de l’époque contemporaine, ils reflétaient une profonde hostilité à l’égard du grand historien des Lumières, Edward Gibbon, qui le premier avait mis en évidence les conséquences de la collusion de l’Église chrétienne, dès les premiers siècles, avec les pouvoirs politiques impériaux. Gibbon en effet avait souligné les débuts de cette sorte de Sainte-Alliance quand l’empereur Théodose mit un terme à la liberté de conscience dans l’ensemble de l’Empire romain en interdisant tout autre culte religieux que le catholicisme et en persécutant pêle-mêle les fidèles des autres confessions, les hérésiarques reconnus comme tels par les conciles ainsi que les esprits libres détachés de toute croyance. Doit-on voir dans le choix d’une telle référence à Henri Marrou, parmi d’autres intellectuels catholiques contemporains, le signe d’une adhésion du président de la République aux thèses centrales de l’historien ? Emmanuel Macron situerait alors son mandat dans une perspective juridique et morale fort glissante.

L’autre nom cité dans le discours du 9 avril étonne par son extrême brièveté car ni le prénom ni la qualité de prêtre catholique ne sont bizarrement mentionnés. Il s’agit du fameux abbé Henri Grégoire qui au temps de la Révolution, se signala par son action contre les pratiques esclavagistes, milita pour que les juifs bénéficient sans discrimination de la citoyenneté française, contribua à la sauvegarde du patrimoine national mis à mal par l’action conjuguée des entrepreneurs de démolition et des déchristianisateurs. Dans les périodes les plus troublées de la Convention, Henri Grégoire, élu député, maintint ses convictions personnelles sans jamais rompre avec l’autorité pontificale en matière de dogme. Mais l’abbé Grégoire était aussi un homme du peuple et un démocrate. En essayant de rendre aux fidèles la part d’autorité usurpée par les instances confessionnelles, Grégoire tenta l’impardonnable : essayer de réorganiser l’Église sur une base non monarchique où la voix populaire se fasse entendre avant l’ordination des prêtres et des évêques et séparant de fait les domaines temporel

et spirituel. Une telle démarche préfigurait, un siècle à l’avance, la loi de séparation de 1905. Hostile à toute forme de connivence juridique, Grégoire condamna le concordat bonapartiste de 1801/1802 qui tout en rétablissant le catholicisme « religion de la majorité des Français » plaçait l’ensemble du clergé sous la surveillance policière d’un serment obligatoire. Persécuté quand, en 1815, le retour de la monarchie restaura l’alliance du trône et de l’autel, Grégoire fut voué aux gémonies par les autorités catholiques nouvelles. Haine si violente qu’elles allèrent jusqu’à lui refuser des obsèques religieuses. Elle perdure jusqu’à nos jours : lorsque François Mitterrand décida par un geste officiel le transfert des restes de Grégoire au Panthéon, le très réactionnaire cardinal Lustiger refusa la participation du clergé à la cérémonie. Et dans un livre récent consacré au catholicisme contemporain, le journaliste Henri Tincq persiste encore dans la même attitude négative. Quelle pouvait être l’intention d’Emmanuel Macron en citant (à mi-voix) le nom de l’abbé Grégoire ? Car, dans un discours aussi mûri, il ne peut s’agir d’une inadvertance. S’agit-il d’un message subliminal adressé à la hiérarchie catholique ?

Alain Vivien