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Conséquences imprévues de la dernière pandémie, des troubles psychiques aggravés par les menaces de guerres étrangères, de la consommation de plus en plus étendue de drogues sans cesse moins dispendieuses et plus destructrices, un nombre inquiétant de personnes cherchent dans un ailleurs illusoire des thérapies aux performances scientifiquement improbables.

Le phénomène n’est pas nouveau. A toutes les époques, des charlatans ont su tirer parti de la crédulité et des souffrances insupportables aux patients éprouvés. On aurait pu penser que la sécularisation et l’évolution morale de nos contemporains suffiraient à combattre des récurrences irrationnelles. Il n’en est rien.

Il y a quelques mois un évêque français organisait le retour aux processions contre les intempéries, renouvelant au XXIè siècle.des rogalias médiévales qu’on pouvait croire obsolètes tandis qu’un autre prélat préconisait de multiplier dans les églises des « neuvaines de guérison » et, last but not least, un troisième pratiquait la confession par le déshabillage. En Seine-Saint-Denis, l’épouse d’un cancéreux en phase terminale – suivi dans un grand hôpital spécialisé – répand actuellement l’idée qu’au Portugal un thérapeute a découvert un traitement miracle…compatible avec le maintien des soins oncologiques, ce qui lui permet, en toute légalité grise, d’échapper à des poursuites pour exercice illégal de la médecine. Naturellement, ce bienfaiteur de l’humanité souffrante n’accepte que des honoraires en espèces. Quant à l’épouse du patient, elle propage à titre gratuit les procédés du charlatan, proposant à d’autres de faciliter leur contact avec ce guérisseur.

Dans le Haut-Rhin, à Thann, un thérapeute aussi pieux qu’autoproclamé, installé en centre-ville, travaillait encore l’an dernier au bénéfice d’une clientèle particulière : les malades de confession musulmane. Ce présumé névropathe  fondait sa thérapie en mélangeant son interprétation personnelle d’obligations coraniques à des prescriptions de produits, naturels comme le suc de truffe ou exotiques comme le siwak (racine utilisée pour polir les dents) et le costus indien (donnant une huile pour inhalation). Il recommandait des prières de désenvoûtement (rokaya) sans oublier d’user de l’eau de zamzam, source sacrée bien connue des pèlerins de La Mecque.

Condamné en mars 2023 à un an de prison avec sursis par le tribunal judiciaire de Mulhouse, le névropathe n’en avait pas moins influencé beaucoup de fidèles notamment dans le domaine des sports où coexistent en toute bonne foi beaucoup de personnes illusionnées : il ne s’agit pas seulement pour elles de guérir des blessures occasionnées  dans la pratique de leur sport mais surtout  d’acquérir  des qualités performatives  exceptionnelles. A cet égard, des champions illustres, tentés par la méthode, ont probablement orienté leurs supporters vers les pratiques illusoires de la médecine dite prophétique, la hijama, promue depuis longtemps sur des réseaux sociaux du groupe de discussion Telegram.

Poursuivant cette offensive de l’irrationnel dans le domaine si influençable des souffrances humaines, un thérapeute de Médine, Akim Boutera, qui dispose de milliers de followers sur Instagram, mène une bataille plus nocive encore. Il peut ainsi se permettre (depuis l’Arabie saoudite où il réside) de combattre par exemple les vaccins au prétexte que leurs substances, non prévues par le Coran, sont basées sur des « éléments synthétiques et dangereux (sic) ». En revanche, il se propose de soigner à sa manière des patients incurables, y compris des victimes du sida ou de la maladie de Crohn.

Face à cette débauche de propositions si rentables, les deux organismes officiels habilités par la législation française (Comité interministériel de prévention des radicalisations et Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires) ne pouvaient rester sans réagir. En effet, plusieurs dispositions de la loi française permettent à la justice d’intervenir. Ce fut le cas, en mars dernier, quand le tribunal judiciaire de Mulhouse condamna le charlatan de Thann pour exercice illégal de la médecine.

La loi française, en effet, sanctionne depuis 2001 l’abus de faiblesse opéré à l’encontre de quiconque. Cette mesure a eu des effets positifs à l’égard du sectarisme, mais cela ne suffit pas pour en prévenir les méfaits. Aussi, en novembre dernier, la secrétaire d’Etat à la citoyenneté a-t-elle envisagé une proposition de loi répondant à cette nécessité de protection des citoyens, quels qu’en soient l’âge ou le sexe, dans le respect des libertés constitutionnelles.

Reste que  les propagateurs de ces fausses thérapies, souvent implantés à l’étranger, continueront encore longtemps leurs activités, via les réseaux sociaux, protégés qu’ils sont par l’anonymat relatif de ces moyens de communication et surtout par la confusion qui règne dans de nombreux Etats où sont encore confondus idéologie confessionnelle exclusive et pouvoirs publics.

En France, dans un contexte rendu plus favorable par le principe de laïcité, des contacts semblent avoir été établis entre les instances garantissant les libertés publiques et les leaders de divers mouvements religieux respectueux de la loi de 1905. L’objectif, à l’évidence, tend à favoriser la mise en place de dispositifs de précaution. Pourront-ils porter leurs fruits ? Avec la grande mosquée de Paris, un dialogue a été instauré qui, selon les propos récents de l’Imam Khaled Larbi, vise « à produire un contre-discours » en rupture avec les élucubrations de la « médecine prophétique ». Il en est temps.

Il serait également souhaitable que les offensives sectaires perceptibles en ce domaine dans les franges « tradi » de l’église catholique retiennent aussi l’attention de la Conférence des évêques. De même, s’agissant des « prières de guérison » fondées sur l’exaltation délirante de fidèles observés dans certains milieux dits évangélistes, inspirés eux-mêmes des formes extrêmes du baptisme états-unien.

Quoiqu’il en soit, les associations comme EGALE, qui promeuvent les droits de la personne humaine, poursuivront leur combat contre ces variétés contemporaines d’aberrations qui sévissent grâce à l’air du temps et à des intérêts politico-confessionnels très aisément décelables.

Alain Vivien